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Livre d'Or


Auteur :Hubert
Le :03/11/06 - 21:39
E-Mail :
Message :Voilà comment j'aimerai vieillir !

Merci pour cette leçon de savoir vivre.

Auteur :Robert PETIT
Le :30/09/06 - 16:09
E-Mail :robert.petit62@free.fr
Message :Au sujet de notre oncle André LEBLANC, nous venons de découvrir votre poème cela nous a beaucoup touchés. Nous supposons que vous êtes au courant de la disparition d'André LEBLANC. De tout coeur merci pour lui.

Auteur :Raphaël Zacharie de Izarra
Le :02/10/05 - 10:20
E-Mail :raphael.de-izarra@wanadoo.fr
Site :http://espritlibre.foxoo.net/plume
Message :GLOIRE ET MISERE A LA FERME

Dans la ferme Marie-Gilberte s'affaire autour du pot-au-feu. Sa grand-mère dans la cuisine, sénile, gît dans un fauteuil crasseux, le regard fixé sur la marmite.

Marie-Gilberte n'a pas vingt ans et rêve d'étoiles au fond de son trou. Seule la radio meuble le vide de son existence, peuplant de rêves simples son imaginaire borné par les travaux de la ferme. Justement, un chant émis par la radio, posée sur la table entre le saladier et la boite de sucres, allume soudain en elle des feux inconnus, éveille dans son coeur des sentiments magnifiques. C'est un petit chanteur à la voix céleste interprétant un chant sacré qui vient de semer chez Marie-Gilberte cette graine de paradis.

Un ange en somme à travers le poste de radio vient d'entrer dans la vie misérable de la jeune fille, libérant son âme étouffée.

Au son de la voix cristalline le pot-au-feu disparaît, la ferme n'existe plus, la grand-mère s'évanouit : Marie-Gilberte a le regard perdu dans des sommets intérieurs. Des sensations fulgurantes l'envahissent, des rêves flamboyants illuminent son visage. Le chant est de plus en plus beau, Marie-Gilberte est en pleine extase.

La vieillarde impotente pendant ce temps est prise d'une quinte de toux, le regard toujours fixé sur la marmite où mijote le pot-au-feu, parfaitement insensible au chant séraphique qui est en train de bouleverser sa petite fille, de transformer la larve en libellule, de changer la patate en rose, ouvrant son intelligence à la vie, son coeur à la joie.

Marie-Gilberte, toujours noyée dans ses nues, s'éloigne peu à peu des lourdeurs de ce monde, sourde à la pantomime catarrheuse de sa grand-mère. Cette dernière, pitoyable dans sa chaise qui exhale l'urine rance, à demi morte d'imbécillité avec son regard radoteur, en pleine décrépitude physique et mentale n'a qu'une pensée en tête : surveiller le pot-au-feu. Sa plus grande hantise pré-mortem : voir déborder le bouillon de la marmite.

La jeune fille dans ses hauteurs éthéréennes entend de moins en moins les quintes de toux qui redoublent. Les éclats de voix de la vieille femme qui lui adresse des propos inintelligibles ne lui parviennent plus.

Marie-Gilberte est exquisément déconnectée de la réalité.

Le chant sublime à la radio se termine, des publicités criardes lui succédant aussitôt. Lorsque enfin Marie-Gilberte redescend de ses nuages dorés entre le bouillon du pot-au-feu qui déborde et le tic-tac horripilant de l'horloge en forme de cercueil, sa grand-mère fixe toujours la marmite, le corps sans vie.

Raphaël Zacharie de Izarra
raphael.de-izarra@wanadoo.fr

Auteur :Raphaël Zacharie de Izarra
Le :23/07/05 - 10:25
E-Mail :raphael.de-izarra@wanadoo.fr
Site :http://espritlibre.foxoo.net/plume
Message :- Une bière blonde -

C'était un dimanche monotone. Dans la basilique la messe venait de finir. Le ciel était gris, les cloches sonnaient à toute volée pendant que les fidèles s'éparpillaient.

Imbécilement, les hommes ne disaient rien. Pieusement, les femmes se taisaient. Les passants étaient muets et les cloches redoublaient de fureur. Le rond-point plongé dans la torpeur n'était traversé que par quelque silhouette insignifiante. Le monument aux morts s'ennuyait à mourir sur la place désertée. Dans la rue les yeux étaient vides, dans les bars les verres étaient pleins.

Bref, les hommes passaient humblement le temps dans cette petite ville de province sans histoire. Avec ce regard méditatif et mélancolique propre aux âmes rêveuses, je m'attardais sur les choses les plus banales et les êtres les plus modestes qui entraient en scène sous mes yeux. Ce spectacle morne et dérisoire m'inspirait une nostalgie sans objet. Mon spleen était un délice, je le savourais en esthète.

Je voyais tout cela à travers la vitre du bar qui donnait sur la basilique. Plus précisément, je voyais tout cela à travers les vapeurs de la bière qui me montaient à la tête et qui me rendaient encore plus contemplatif qu'à l'accoutumée... Et le monde soudain dansait au-dessus de ma tête, et des fantômes joyeux tournaient autour de moi dans le fracas agréable des cloches... A mes pieds traînaient quelques vieux mégots écrasés. Tandis que dehors le concert d'airain berçait mon ivresse, à travers la vitre du bar je levai les yeux vers le sommet de la basilique où trônait la statue de la Vierge recouverte d'or.

Les vapeurs de la bière continuaient à m'enivrer progressivement. L'éther montant en moi, je vis les premiers sourires apparaître sur les visages. Les assoiffés accoudés au bar, tous marqués à divers degrés par des moeurs éthyliques héréditaires, étaient devenus mes frères de perdition. Je détournai cependant assez vite le regard de cette assemblée de nez pourpres et de casquettes épaisses.

A présent le son des cloches de la basilique s'espaçait tout en diminuant graduellement d'intensité. Bientôt un silence mortel régna dans la rue ainsi que dans le bar. En effet, les buveurs n'ayant brusquement plus rien à se dire, ils se turent stupidement. Mais leur silence me parut plein de discernement, de pénétration, de profondeur. Je levai une fois encore les yeux vers la statue mariale et en ressentis un délicieux vertige. Le démon de la bière m'emportait toujours plus haut sur ses ailes ambrées... Je n'étais plus seul. En moi un feu du diable brûlait, j'étais aux anges.

Tout autour de moi était devenu statique. Il ne se passait rien dans le bar, rien dans la rue, rien dans les têtes ni dans les coeurs. C'était la province un dimanche, ça respirait l'ennui, le petit blanc sec et la léthargie, et les gens n'avaient rien à faire. Tout n'était que mollesse et temps qui passe, monotonie et repli sur soi. Mais dans ma tête se concertaient avec finesse et éclat Bacchus et la Vierge dorée : un instant de grâce dans un monde de parfaits abrutis.

La ville était morte et s'appelait Albert.

Raphaël Zacharie de Izarra

Auteur :Raphaël Zacharie de Izarra
Le :20/07/05 - 10:24
E-Mail :raphael.de-izarra@wanadoo.fr
Site :http://espritlibre.foxoo.net/plume
Message :- Le Grand Cimetière de l'Ouest -

Ce n'est pas le Père Lachaise non, mais les tombes sont profondes et paisibles, les allées grandes et mélancoliques, et l'horizon n'est qu'un vaste manteau de pierre, funèbre et solennel. Les marbres neufs -d'un goût douteux- luisent au soleil, tandis que les vieilles sépultures plus ternes des siècles passés agissent comme autant de chandelles mortes, ajoutant à la nécropole une atmosphère exquisément désuète. Ainsi se présente le cimetière du Mans, appelé le "Grand Cimetière de l'Ouest".

J'errais dans ce jardin mortuaire, tantôt.

Je m'attardais dans les parties XVIIème, XIXème et début XXème siècle du cimetière. Je lisais des noms d'un autre temps, à demi effacés sur les stèles. Il y avait des notables et des pauvres types, des jeunes filles et des vieux grigous, des quidams dont nul sur la planète ne se souvient plus, des députés, d'anciens maires de la ville, des jeunes adolescents isolés avec des épitaphes sobres et austères ou au contraire chaudes, dégoulinantes de larmes vraies... Parfois des familles entières reposaient dans un seul tombeau avec juste le nom des occupants, sans aucun regret gravé. Tous se côtoyaient dans la terre mancelle. Les défunts, jeunes et vieux, beaux et laids, insignifiants et glorieux, appartenant à un siècle ou à un autre, ordures et saints, moi je les trouvais touchants, émouvants au fond de leur trou.

Je les rendais à la vie temporelle en somme, par mon seul regard. Je lisais leur nom, regardais leur tombe, tentais de deviner qui étaient ces André, ces Hubert anonymes, ces Lucette, ces Marie d'un autre âge, cette famille Champion perdue dans la foule des autres trépassés... Ils avaient vécu dans le monde tous ces gens-là. Ils avaient aimé, souffert, espéré, mangé de la salade verte, bu de l'eau claire, du vin, joué aux cartes, haï leurs voisins...

Je songeais que lorsque ce sera mon tour de descendre dans la fosse, pâle, avec un rictus énigmatique et figé sur les lèvres ou alors avec un air tout banalement inexpressif, placide (car qui sait quelle sorte de visage donnera à chacun de nous la mort ?), les intestins inertes, les pieds comme deux pierres, la tête droite, je songeais disais-je que lorsque ce sera mon tour de descendre là dans ce trou, alors moi aussi je deviendrai l'anonyme d'un cimetière, un oublié du monde, une stèle illisible. Les siècles me rendront pareil à cette multitude muette couchée sous la terre. Des gens oubliés de tous, jusqu'à leurs ossements.

Un mort de plus parmi les milliards de gisants que comptent tous les cimetières du monde.

Voilà ce que sera devenu le vivant Raphaël Zacharie de Izarra de cette heure où je vous parle, et je ne m'en fâche point. Ainsi, égaux nous sommes. La poésie, les lettres, les vanités, les amours ratées, les attentes de bus, les rendez-vous importants, les courriers urgents, les affaires minables, les aveuglements des jeunes gens, les classes redoublées, les comptes-rendus de l'employé à son patron, les soucis météorologiques avant les départs en vacance, les trains à ne pas manquer, les rendez-vous chez le coiffeur, les ascensions sociales, les descentes des pistes de montagne à ski, tout s'apaisera dans la tombe.

Visitez les cimetières, vous qui vous pensez immortels à force de ne jamais penser que le jour de votre mort arrivera. Un 4 mars ou un 17 juin, peu importe. Mais un des 365 jours de l'année, de manière certaine. Visitez les cimetières, vous qui avez tant de choses à faire, à voir, tant de gens à aimer, à détester. Attardez-vous sur les tombes de ces mangeurs, de ces amants, de ces conducteurs de trains, de ces chapeliers, de ces servantes, de ces vagabonds, de ces écoliers, de ces vieillards qui comme vous se croyaient immortels.

La mort les a pourtant surpris. Maintenant ils sont au fond de leur trou, dans le "Grand Cimetière de l'Ouest". Et vous y serez vous aussi.

Vaniteux vivants, allez donc visiter les cimetières vous dis-je, et surtout prenez votre temps. Il faut que soyez imprégnés, hantés par le marbre.

Et puis lorsque vous aurez terminé votre visite, alors -et c'est conseillé-, vous pourrez en toute joie vous enivrer de bon vin.

Raphaël Zacharie de Izarra

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Textes & Images : Michel Charlier ©Copyright 2001-2004
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